Universitaire, activant dans le secteur culturel, au niveau de la Mairie de Paris, Brahim Saci est aussi un chanteur de talent, un poète original. Il nous dit, ici, sa perception de la musique, son parcours jalonné de multiples haltes créatrices.
Universitaire, chanteur, poète, animateur de la vie culturelle à Paris, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous raconter un peu votre parcours ?
Brahim Saci : L’artiste en général et le poète en particulier préfère l’ombre à la lumière. L’art est avant tout un cri d’amour. Adolescent, la découverte d’Arthur Rimbaud à Paris m’a bouleversé tant son génie est exceptionnel. À l’époque, j’écrivais pour oublier un peu ma profonde solitude intérieure. C’est par un coup du destin que je me suis retrouvé en France à l’âge de 10 ans. J’étais un enfant joyeux au village Tifrit Nait Oumalek, beau village de montagne de l’arch des Aït Idjeur au pied de l’Akfadou, village sous la protection du Saint Sidi Mhand umalek, de cette majestueuse et millénaire Kabylie. Les jours passaient dans un bonheur sans pareil, entre l’école et les jeux avec les autres enfants du village.
Le village comme tous les villages kabyles s’est toujours autogéré, ce qui le préservait des tourments politiques et protégeait aussi la paix régnante. Chaque jour était un rayon de soleil, étant gâté par une grand-mère paternelle Samah Zahra (setti zahra) paix à son âme, admirable et généreuse, qui m’a bercé dans les contes kabyles, gâté aussi par une grand-mère maternelle Hamek Keltoume (setti Taweccixt) femme de coeur tout aussi admirable, du village Tazrouts Nait Oumalek de la wilaya de Bgayet, village sous la protection du Saint Sidi Mhammed Ouali, village qui m’est aussi cher parce que j’y suis né. Je me souviens que par les rudes nuits d’hiver, assemblés autour du kanun, du feu, ma mère nous jouait des petites pièces théâtrales improvisées, cela nous faisait oublier le froid et la rudesse de l’hiver et comblait un peu le manque du père, immigré en France depuis les années 50, qu’on ne voyait qu’un mois dans l’année. Mon grand père paternel Saci ALi était aussi immigré en France depuis 1912. Le destin a voulu que je quitte cet univers enchanté pour atterrir à Paris fin 1975. Vivant seul, mon père ne pouvait me garder à Paris. Il me confia donc à sa soeur, ma tante Saci Taklit, qui vivait en famille à Pierrefitte, en Seine Saint Denis.
De l’Akfadou à Saint-Denis
Ils m’ont toujours considéré comme leur propre fils, je leur dois beaucoup. Je fus donc scolarisé à Pierrefitte en dernière année de primaire CM2 à l’école Eugène Varlin, je garde un précieux souvenir du directeur Jean Dalarun, un homme de coeur qui a toujours eu une attention par ticulière à mon égard. J’avais eu au village un instituteur de français tout aussi remarquable, Mouhoune Mhamed, dont l’enseignement de qualité a fait que j’ai pu suivre une scolarité normale en France. J’ai continué ma scolarité non sans difficultés mais la poésie m’aidait à les surmonter. D’autant que la muse m’a ouvert ses bras où je pouvais me réfugier de temps à autre. Le dessin aussi était un refuge, ainsi que les BD, dont j’étais un grand lecteur. Au lycée j’ai découvert la poésie de Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire. Aux concours de poésie organisés chaque année par le lycée, je remportais des prix, ce qui me conforta dans mon envie d’écrire.
À la fin de la dernière année de collège, je quittais Pierrefitte et la famille Ladaoui pour rejoindre mon père à Paris. La vie à Paris allait changer ma vie. J’entrais au lycée Paul Eluard à Saint-Denis. Un jour, allant me promener du côté du Châtelet, je me retrouvai devant le Centre Beaubourg où des artistes faisaient des portraits et des caricatures des touristes. Je décidais alors de mettre en pratique mon talent de dessinateur et de m’installer là tous les week-ends pour dessiner. À partir des années 90, voyant les mentalités et les libertés rétrécir à Paris, les artistes étant de moins en moins tolérés dans les rues parisiennes, je décidai d’arrêter ce métier et de me consacrer à mon autre passion : la musique.
Dans le 20e arrondissement de Paris où je vivais, j’avais rencontré un talentueux musicien chaabi, Si Tayeb Ali, originaire de Maatqa, et qui gérait un café. Grâce à lui j’ai pu côtoyer de grands artistes kabyles comme Akli Yahyaten, Rachid Mesbahi, Ait Meslayen, Youcef Abjaoui, Cid Messaoudi et beaucoup d’autres. Si Tayeb Ali m’apprit les rudiments du chaabi et m’a appris à aimer Dahmane Elharachi. En 1992, j’enregistre mon premier album, « Exil éternel », en hommage à Slimane Azem. J’ai 31 chansons qu’on peut écouter et même télécharger sur mon site internet, www.brahimsaci.com. Je reste un bohème, un poète qui écrit dans les rues de paris des vers en kabyle et en français que le vent disperse.
Quand vous chantez, on a l’impression d’entendre le grand Slimane Azem chanter. Comment arrivez-vous à faire une telle prouesse ?
B.S. : En fait, c’est loin d’être une prouesse, c’est tout à fait naturel. Mais vous êtes gentil quand vous dites qu’en a l’impression d’entendre le grand Slimane Azem, mais je dirais : lbarakka kan, c’est juste un don du ciel. Je suis franchement loin de pouvoir égaler la qualité vocale du grand Slimane Azem.
La justesse de sa voix surtout dans l’istikhbar, le prélude chaabi, est époustouflante. Rares sont ceux qui peuvent rivaliser avec lui. Ses préludes chantés coulent comme l’eau d’une source du Djurdjura, c’est la pureté de la source, c’est la langue kabyle incarnée. Le chaâbi, musique populaire algérienne, dérive du style classique arabo-berbèro-andalous, musique savante que le grand Maître El Anka a codifié en raccourcissant et simplifiant les modes pour les rendre plus accessibles. Dahmane Elharachi a vulgarisé cette musique en la rapprochant du peuple.
Slimane Azem était un as de la composition. D’où la simplicité apparente qui n’en est pas en réalité. Il était une légende de son vivant pour la musique, le chant et le verbe, comme l’était avant lui Si Mohand U Mhand par le verbe.
Mais je vous dirais que ne ressemble pas au légendaire Slimane Azem qui veut. Ce n’est pas tout à fait un hasard. Il faut avoir un bagage culturel, avoir beaucoup étudié les auteurs et poètes kabyles et d’ailleurs, avoir une expérience de vie riche, même en souffrances.
Faut marcher sur le brasier pieds nus sans bouger un sourcil, être un homme de convictions comme l’était Matoub Lounes, avoir une bonne connaissance musicale. Il faut beaucoup lire, maîtriser les techniques de versifications, avoir une bonne connaissance de la langue et aimer profondément ce qu’on fait. L’art c’est avant tout l’amour, donner sans rien attendre en retour…
Le thème de l’exil est assez présent dans votre oeuvre, pouvez-vous nous dire un mot à ce sujet ?
B.S. : L’exil est comme une malédiction, mais ne dit-on pas aussi que les poètes sont maudits ? Ou bien dit-on cela uniquement parce qu’on ne les comprend pas ? Pour me comprendre il faut marcher dans mes pas, pourrait dire le poète. La solitude profonde parce qu’on n’est pas compris, avoir sans cesse la sensation d’être d’un autre temps, d’une autre dimension… Recherchant et fuyant le monde, fuyant le vide tout en le recherchant comme poussé par une force invisible. L’exil intérieur, celui des poètes, est de loin le plus dévastateur car c’est une tempête silencieuse que seul la plume peut dompter par moments. Et les instants de répit sont rares. S’ajoute à l’exil tout court, l’exil intérieur du poète… Si l’image fait sourire, la réalité est tout autre en vérité mais, heureusement, la seule force salvatrice c’est l’Amour.
Vous sortez bientôt un nouvel album, quels en sont les thèmes majeurs ?
B.S. : Cela fait longtemps que je travaille sur ce nouvel album. Mais, sans doute à cause d’un souci de perfectionnisme, ce n’est jamais assez bien. Il m’arrive souvent de revenir sur des compositions anciennes pour les retravailler. Les poèmes doivent couler comme l’eau d’une source de l’Akfadou, fraîche et claire pour qu’on s’y voie dedans. Il est évident que l’exil est omniprésent comme il est présent en moi, installé pour l’éternité. Il y a le temps qui passe, qui détruit jusqu’à l’amour, et la détresse du poète devant ce qu’il ne peut changer. L’art c’est la pureté, la bonté, la beauté, la vérité. Mais quand le Bien rencontre le Mal, il est désemparé ! Dans tout l’album il y a dualité entre le bien et le mal, le jour et la nuit. Il y a plusieurs chansons bilingues, en kabyle et français, car la langue kabyle et la langue française vivent en moi dans le coeur et l’esprit.
Le titre de l’album c’est « qlilet lemhiba – taluft umeddah » (L’amour se fait rare et la fable du troubadour), un titre que je pense être évocateur. Il y a aussi un regard sur l’Algérie, pays natal qu’on aime, qu’on regarde avec espoir, en rêvant d’une véritable démocratie qu’on espère proche pour le bien du peuple algérien, pour une justice sociale dans le respect de chacun et pour de meilleures relations entre les deux rives.
Interview réalisée par Youcef ZIREM.